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POLICE – Ils étaient une dizaine à peine, dans le respect des consignes sanitaires. Le 14 janvier dernier, aux abords de l’Assemblée nationale, un petit rassemblement d’une “valeur symbolique”, pour reprendre les termes de l’un des organisateurs, a eu lieu, quelques jours avant l’ouverture du Beauvau de la Sécurité, ce sommet censé apaiser la grogne des policiers et gendarmes, et pacifier leurs rapports avec la population française.
L’objectif des policiers participants et de leurs soutiens? Dénoncer la manière dont se déroule la vaste consultation qui durera jusqu’à la fin du printemps. “Nous voulions faire inviter une petite section de policiers de terrain qui vivent tous les jours ce qu’il se passe en France”, précise au HuffPost un policier en service dans des cités de banlieue parisienne. Car pour ce rendez-vous, si des personnalités de la sphère publique, des politiques et des représentants syndicaux ont été conviés par Jean Castex et Gérald Darmanin, pas de trace de ceux qui arpentent les rues de France chaque jour.
Ni de leur famille ou des associations qui luttent pour améliorer leurs conditions de vie d’ailleurs, comme le déplore Perrine Sallé, porte-parole des “Femmes des Forces de l’Ordre En Colère” (FFOC). Pourtant, ce sont elles qui sont en première ligne face au suicide, aux violences commises contre les hommes et femmes en uniforme, aux menaces et à la traque sur les réseaux sociaux. L’associative évoque à cet égard les trois plaintes qu’elle a déposées pour des menaces de mort reçues sur Interne, mais aussi son compagnon, contraint de changer de service après avoir été pourchassé et retrouvé sur les réseaux sociaux.
“Nous entendre, c’est bien. Mais nous écouter, c’est mieux.”
“Ceux qui sont invités au Beauvau, bien souvent, soit ils n’ont jamais été au contact de nos réalités, soit il en sont très loin”, reprend le fonctionnaire de banlieue interrogé par Le HuffPost. Et Perrine Sallé d’enchaîner: “Où est le sujet des familles? Où est la question du suicide? Où sont les citoyens qui devaient participer au Beauvau, les associations? Pourquoi n’évoque-t-on pas les pompiers qui sont accueillis avec des cocktails Molotov dans les cités?”
Une volonté de prise en considération de la base, du terrain, qui se heurte à une problématique majeure de la police nationale, à entendre nos différents interlocuteurs: la place prise par les organisations syndicales. “Les syndicats ont certes des délégués qui font remonter l’information depuis le terrain, mais ce qui me dérange, c’est la puissance avec laquelle ils vont défendre ces informations”, nous explique le policier de banlieue. “Tant qu’on ne subit pas ces violences ou ces problèmes directement, on ne va pas porter ces revendications avec vigueur.”
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“Le dialogue syndical est indispensable, mais ce n’est pas tout”, complète un BACeux (membre d’une Brigade anti-criminalité, BAC) de banlieue. “Que les syndicats fassent le nécessaire à leur niveau, c’est une chose. Mais que les policiers de terrain soient consultés, intégrés à la discussion, ça me paraît aussi essentiel”, insiste-t-il. “Je veux bien m’exprimer, mais si ce que je dis n’est pas pris en compte: à quoi ça sert? Nous entendre, c’est bien. Mais nous écouter, c’est mieux.”
Des syndicats puissants et toujours plus politiques
Toutefois cette importance des syndicats dans le dialogue engagé par le ministère de l’Intérieur et même Emmanuel Macron en personne (puisqu’il a promis ce Beauvau à l’occasion d’une interview sur Brut dans la foulée du passage à tabac de Michel Zecler) est loin d’être injustifiée. Selon un rapport de la Dares, institution étatique en charge des statistiques, publié en 2016, ils étaient alors 49% de policiers à être syndiqués. Un chiffre qui prend en compte les polices nationale et municipales, et qui serait en réalité bien plus élevé chez les seuls fonctionnaires nationaux, comme l’écrit La Gazette des Communes, qui rappelle que plus de 80% de ces policiers participent à leurs élections professionnelles.
À lire également: Ce que les syndicats de police avaient déjà obtenu avant même l’ouverture du Beauvau de la Sécurité
Ce que reconnaissent d’ailleurs les déçus du Beauvau avec lesquels nous avons pu échanger. “Les syndicats ont une légitimité parce qu’ils sont élus”, reconnaît le policier de banlieue. D’ailleurs Perrine Sallé des FFOC, n’aurait aucun problème à ce que ce soit ces organisations qui portent les revendications de ceux qui s’estiment non représentés au Beauvau. “Nous ce qu’on veut, c’est un changement, qu’importe celui qui aura porté la revendication”, nous précise-t-elle. “On n’a rien à gagner à s’investir comme on le fait, on ne va pas s’enrichir. Avec les syndicats, les relations sont apaisées, mais pour autant vont-ils porter notre voix? Non. Ça se cantonne à un petit soutien, à une photo sur Facebook.”
Surtout, nos interlocuteurs regrettent une trop grande politisation des acteurs syndicaux. “Plus ils sont connus, moins leur discours passe chez les collègues”, nous décrit un fonctionnaire, qui évoque l’inévitable sortie d’un livre, la médiatisation constante, la présence sur les réseaux sociaux ou d’éventuelles ambitions personnelles dès lors qu’un leader syndical commence à être connu. Et de donner l’exemple de Jean-Claude Delage, ancien numéro 1 d’Alliance PN qui mène aujourd’hui une carrière politique au CESE et à la Coordination nationale pour la sécurité des Jeux olympiques de 2024.
Nicolas*, policier en région parisienne, abonde: “Il faut des syndicats, on a besoin d’eux. Mais ces dernières années, ils ont un peu perdu de vue leur rôle premier: la défense des collègues”, explique-t-il. “Ils sont un peu devenus les porte-parole de la police nationale, on le voit bien sur les plateaux de télévision par exemple. Et ce n’est absolument pas leur rôle.”
“Si les syndicats étaient unis, on aurait déjà fait plier l’administration”
Une analyse que partageait dès 2015 Jean-Louis Loubet del Bayle, sociologue renommé pour ses travaux sur la police. “Ce syndicalisme est souvent très personnalisé, les orientations et les stratégies dépendant des organisations, mais aussi des personnes qui, à tel ou tel moment, se trouvent à leur tête, avec la possibilité pour l’administration de jouer sur les ambitions des uns et des autres, en cours de mandat ou d’après mandat, ou sur des rivalités individuelles souvent exacerbées”, écrivait-il à l’époque.
Des considérations individuelles auxquelles s’ajoute nécessairement un affrontement entre les principales organisations: Alliance et Unité SGP, duel souvent arbitré par l’Unsa, la troisième force majeure. “Ce qui est difficile avec les syndicats, c’est ce manque d’union entre eux. S’ils se rassemblaient, on gagnerait à chaque fois”, assure le policier en service dans les cités de banlieue parisienne. “Ils se tirent dans les pattes et on n’avance pas. S’ils étaient unis face à l’administration, on n’en serait pas là avec un Beauvau et un livre blanc, on aurait déjà fait plier l’administration”, complète l’un de ses collègues.
“Alors oui, il y a la légitimité de l’élection des syndicats, mais on peut aussi nommer quelqu’un capable d’avoir des propos et des propositions sensés”, reprend le BACeux de banlieue. Une solution qui séduit davantage les personnes interrogées pour cet article que les cahiers de doléances promis par Gérald Darmanin. “On va écrire, mais après? Qui va porter cette parole?”
Des voitures neuves? Oui, mais…
Or c’est là que le bât blesse, nous expliquent à l’unisson nos interlocuteurs: les besoins réels du terrain ne seront pas abordés lors du Beauvau. Et un exemple fait l’unanimité à ce propos, celui des nouveaux véhicules des forces de l’ordre présentés en grande pompe en fin d’année. “Nous mettre des 5008 toutes belles, toutes pratiques, c’est bien. Mais on a des collègues qui se suicident…”, lance Nicolas*. “Est-ce qu’on avait vraiment besoin de ces 5008 alors que nos caméras-piétons sont toutes défectueuses?”, renchérit le policier basé en cité.
Et Perrine Sallé de relater: “En quatre ans, j’ai un ami qui a subi un attentat terroriste, un ex-collègue de mon compagnon qui a été brûlé, j’ai échangé avec un CRS transformé en torche humaine en manifestation, rencontré un adjoint de sécurité frappé à coups de barre de fer, mon compagnon a dû changer de service parce qu’il avait été traqué, j’ai trois menaces de mort contre moi, j’ai vécu le suicide d’une amie. Et pendant ce temps-là… la police a eu droit à de nouvelles voitures. C’est tout.” Le policier de la BAC termine à ce propos: “Il y a de bonnes directions au Beauvau, les huit chantiers qui ont choisis notamment. Mais si les revendications des policiers ne sont pas exprimées…”
D’autant que tous sont sceptiques quant à la liste des participants, au-delà des représentants syndicaux déjà évoqués. “Les personnalités invitées viennent principalement du privé. Donc à part si on veut privatiser la police, je ne sais pas trop quel est l’objectif”, s’interroge Nicolas au sujet des PDG, sportifs et autres consultants invités à s’exprimer dans les prochaines semaines sur l’organisation du travail ou la psychologie face à la pression par exemple.
Le syndrome du footeux du dimanche
“On écarte les policiers de terrain et on invite des gens extérieurs à la police pour qu’ils donnent leur avis sur le management”, décrit le BACeux. Son collègue de cité suggère une idée: “Si j’avais pu, j’aurais demandé à ce que tous les participants au Beauvau passent une semaine dans un commissariat de banlieue, en uniforme, avant de participer. Qu’ils aillent à Aulnay-sous-Bois, à Sevran ou à Saint-Denis pour patrouiller avec les BAC, qu’ils voient ce qu’on se prend chaque jour: les insultes, les cocktails Molotov, les crachats. Qu’ils soient au contact de la réalité, sans donner un avis depuis son fauteuil, sur la base de vidéos”, continue-t-il, osant une comparaison avec le “footeux du dimanche, dans son canapé, qui assure devant sa télé qu’il aurait mis la balle en pleine lucarne” à la place du professionnel qu’il regarde jouer.
“C’est très bien (d’inviter des personnalités de l’extérieur, ndlr), mais pourquoi exclure l’essentiel?”, reprend le BACeux. “Pourquoi ne pas créer des petits collèges de policiers de terrain par département ou par région? Pourquoi toujours passer par les mêmes canaux?” Car comme l’écrivait, toujours en 2015, le sociologue Jean-Louis Loubet del Bayle, ce sont justement, dans de nombreux cas, les associations de familles et de retraités qui peuvent faire évoluer les choses pour les forces de l’ordre. L’universitaire citait par exemple les conquêtes obtenues par les regroupements de femmes de membres de la Guardia Civil en Espagne ou par les gendarmes à la retraite en France.
Mais pour Perrine Sallé, les syndicats n’ont aucun intérêt à tendre le micro à d’autres interlocuteurs, qu’ils se battent contre le suicide comme Pep’s ou Assopol, ou pour les conditions de vie des policiers à l’image de son association FFOC ou de la Mobilisation des Policiers en Colère. Résultat: après plusieurs livres blancs au cours des dernières années, des consultations, des témoignages devant les parlementaires, c’est une nouvelle réunion qui s’ouvre, dont le principe a été glissé à Emmanuel Macron par le syndicaliste Yves Lefebvre, ancien numéro 1 du syndicat Unité-SGP Police, et qui risque, selon l’associative, de ne donner lieu qu’à un énième rapport.
Ce qui fait dire au policier de la BAC que le Beauvau a peut-être, dans son principe même, raté sa cible. “Il aurait peut-être mieux valu voir plus large et faire des états généraux de la sécurité avec la police municipale, les représentants de la Justice… Mais là ça aurait été un chantier d’une autre ampleur.”
* Le prénom a été changé
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