Le procès des attentats de janvier 2015 sera filmé, voici comment

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JUSTICE – C’est un moment que de nombreux acteurs du monde de la justice qualifient déjà d’exceptionnel. À partir de ce mercredi 2 septembre et pendant dix semaines, le tribunal judiciaire de Paris va revivre les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher, qui ont plongé la France dans l’horreur pendant trois jours, du 7 au 9 janvier 2015, et fait 17 morts.

Un moment exceptionnel, d’abord, parce qu’après celui des tueries perpétrées par Mohamed Merah, tenu en 2017, il s’agit du premier procès de la vague de terrorisme islamiste qui a frappé la France à partir de 2015. Exceptionnel, aussi, parce que le défi déjà colossal d’organiser un procès d’une telle envergure, avec 14 accusés, 94 avocats, 200 parties civiles et un large public attendu (quatre salles de retransmission et un auditorium sont prévus), se heurte aux mesures sanitaires strictes imposées par l’épidémie de coronavirus.

Exceptionnel, enfin, parce que la cour d’appel de Paris a accepté que ce procès soit intégralement filmé pour être archivé.

L’archive pour “refroidir les passions de l’actualité”

“Ce procès présente de toute évidence un intérêt pour la constitution des archives historiques de la justice”, note la cour d’appel dans sa décision, soulignant que les événements “ont profondément marqué l’histoire du terrorisme national et international” et ont engendré un “retentissement” et une ”émotion” qui “ont largement dépassé les frontières en raison des symboles visés: la liberté de la presse, l’État et ses représentants ainsi que la communauté juive”.

Les images enregistrées ne seront pas destinées à être immédiatement diffusées à la télévision, mais seront conservées par les Archives nationales. La loi Badinter de 1985 autorise en effet “l’enregistrement audiovisuel ou sonore de l’intégralité des débats” lorsqu’il “présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice”.

Avant cela, à partir des années 1930, les procès ”étaient filmés de manière assez libre”, pour être diffusés dans les actualités, raconte Sylvie Lindeperg, historienne et professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, interrogée par Le HuffPost. On peut ainsi trouver des images muettes du procès du Maréchal Pétain en 1945. Mais la présence des appareils d’enregistrement donne lieu à des débordements et nuit à la sérénité nécessaire des débats. Ils sont donc interdits des prétoires en 1954 après le tumulte médiatique du procès Dominici. Jusqu’à la loi Badinter.

Celle-ci “va totalement modifier la finalité de ces tournages”, explique Sylvie Lindeperg, spécialiste des liens entre cinéma, mémoire et histoire. Il s’agit désormais “d’attendre que du temps passe pour refroidir les passions de l’actualité”. On ne filme plus pour l’information immédiate, mais pour l’histoire.

Un cahier des charges strict

Peu de procès ont été enregistrés depuis la loi de 1985: le premier a été celui de Klaus Barbie (1987), puis ont suivi ceux de Paul Touvier (1994), de Maurice Papon (1997-1998), de Robert Badinter accusé de diffamation par le négationniste Robert Faurisson (2007), de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse (de 2009 à 2017), de 14 militaires de la dictature chilienne d’Augusto Pinochet (2010) et de génocidaires rwandais (de 2014 à 2018).

Selon cette loi, l’enregistrement doit répondre aux “principes de la transparence, de la neutralité, et à une recherche affichée de l’objectivité”, rapporte Sylvie Lindeperg, avec surtout “une visée anti-spectacle”. Le cahier des charges, confié pour ce procès à une société de production chargée par le ministère de la Justice de la captation, répond donc à des dispositions strictes.

Le public doit rester maître de l’image qu’on va lui montrerMartine Sin Blima-Barru, Archives nationales

 

D’abord, les plans sont fixes uniquement. Ils seront ici enregistrés par les cinq petites caméras installées d’office dans la salle du nouveau tribunal judiciaire de Paris, inauguré en 2018. Une régie, installée derrière le greffe (chargé notamment de retranscrire les échanges), sera raccordée à ces caméras, décrit le parquet national antiterroriste (PNAT) au HuffPost. Un réalisateur et un technicien seront toujours présents, derrière la régie, pour recevoir les images et les monter directement, selon la technique du tourné-monté, c’est-à-dire en n’utilisant qu’une seule prise de vue par plan.

Mais le réalisateur n’est pas véritablement libre de son montage. “La règle générale est que l’on montre celui qui parle et pas ceux qui écoutent”, indique Sylvie Lindeperg. On évite donc d’aller chercher des réactions sur les visages de l’auditoire pour ne pas jouer, indirectement, sur les émotions du futur spectateur. De même, on proscrit tous les effets de dramatisation tels que les gros plans, les zooms ou les plans de coupe.

“La justice veut laisser au futur public la latitude de se faire son opinion, il doit rester maître de l’image qu’on va lui montrer”, explique Martine Sin Blima-Barru, qui a participé à la rédaction du cahier des charges en tant que responsable du département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles des Archives nationales. Tout au long de l’enregistrement, le réalisateur doit aussi veiller à l’équilibre du traitement entre les différents acteurs.

Claire Digiacomi / Le HuffPost

La régie installée derrière le greffe dans la salle où se tient le procès des attentats de janvier 2015.

 

Le “final cut” au président du tribunal

Selon Martine Sin Blima-Barru, le cahier des charges du procès des attentats de janvier 2015 offre toutefois une plus grande latitude que les précédents. “Depuis le dernier procès sur le génocide au Rwanda, nous avons essayé de travailler dans le sens d’une plus grande prise en compte de la confrontation du débat judiciaire. En disant que, sans remettre en cause l’impartialité de la justice, on peut donner un peu plus de richesse en autorisant des champs-contrechamps par exemple. Sans s’éloigner du Code du patrimoine, on peut apporter un supplément d’information”, détaille-t-elle auprès du HuffPost.

Car une audience ne se résume pas simplement aux mots. ”À un moment de son procès en 1994, Paul Touvier, chef de la Milice lyonnaise pendant l’Occupation allemande, s’est endormi. Le réalisateur Guy Saguez ne l’a pas filmé car il a considéré que, comme il ne parlait pas, cela aurait été un plan de coupe. C’est une pudeur respectable d’un point de vue déontologique, mais en même temps il a fait disparaître ce qui fait aussi partie d’un procès: l’ennui”, raconte Sylvie Lindeperg.

Les prises de vue d’intervenants qui ne parlent pas doivent toutefois rester “exceptionnelles”, précise le PNAT, par exemple si l’intervention d’un témoin est particulièrement longue, ou en cas de problème technique.

Claire Digiacomi / Le HuffPost

L’une des cinq caméras utilisées pour l’enregistrement du procès des attentats de janvier 2015.

 

Quoi qu’il en soit, le “final cut” n’appartient toujours pas au réalisateur, mais au président du tribunal lui-même. Le magistrat Régis de Jorna, qui avait déjà présidé en 2016 le procès en appel -filmé- de Pascal Simbikangwa, condamné pour génocide et complicité de crime contre l’humanité au Rwanda, a participé pour ce procès à l’élaboration du cahier des charges.

Si, lors des débats, les images tournées ne respectent pas les termes de la loi ou de ce cahier des charges, il peut, “dans l’exercice de son pouvoir de police, s’opposer aux enregistrements ou les interrompre momentanément”, indique le Code du patrimoine. C’est lui aussi qui récupère les images et les transmet aux Archives nationales “avec un procès-verbal signé”. 

“La couleur de la barbarie” comme une trace dans l’histoire

L’enregistrement est envoyé au fur et à mesure du procès aux Archives nationales. Une autre copie de sauvegarde est conservée, sous scellé, au ministère de la Justice. Celle-ci sera détruite dès que les Archives auront terminé leur travail de pérennisation et assuré que toutes les conditions de la conservation des fichiers soient réunies.

 Aux Archives, l’enregistrement est conservé “dans plusieurs data centers et sur des bandes magnétiques”, décrit Martine Sin Blima-Barru. Un exemplaire est notamment conservé sur le site de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), où il pourra être consulté par le public dès qu’une décision définitive aura été prononcée dans l’affaire. Autrement dit, dès que tous les recours (appel et pourvoi en cassation) auront été utilisés ou les délais dépassés. 

La reproduction et la diffusion des images, en revanche, ne sont pas libres avant 50 ans. Des exceptions peuvent toutefois être accordées avant ce délai, dans le cadre de l’organisation d’une exposition ou de la réalisation d’un documentaire par exemple. 

La décision de laisser cette trace dans l’histoire est “salutaire”, selon Me Samia Maktouf, avocate de Lassana Bathily, l’employé de l’Hyper Cacher qui avait aidé des clients à se cacher pendant la prise d’otages. “Pour les victimes et les familles de victimes, il est important de marquer les esprits et l’histoire, compte tenu de la gravité des faits”, témoigne-t-elle auprès du HuffPost. Regrettant que le procès d’Abdelkader Merah n’ait pas été filmé malgré une demande de plusieurs familles de victimes, l’avocate espère que celui des attentats du 13-Novembre le sera: “Salah Abdeslam est le seul survivant. Il est important que l’on garde son témoignage ou l’absence de témoignage, que l’on ait une image de la couleur de la barbarie”.

 

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